Chronique : Drague point nette

« Il faut vivre avec son temps », ça se disait déjà à l’époque. Alors j’ai décidé de vivre avec mon époque. Il est temps. J’ai surtout décidé de séduire comme de plus en plus de monde aujourd’hui : en utilisant l’Outil, en utilisant le Web.

C’est septique et plein d’aprioris que je me lançais dans cette aventure. Très curieux aussi, je l’avoue.

Je n’y connaissais rien. Juste deux ou trois publicités regardées distraitement à la télévision, et une ou deux comédies romantiques traitant vaguement de la question.  

Un rapide triage-googleage me renseigna d’emblée plusieurs dizaines de sites abordant le sujet. Plusieurs dizaines de pages de sites. Après en avoir parcouru la plupart de leur contenu en diagonale, une conclusion s’imposa à moi : il y avait clairement une surproduction de sites et blogs d’amateurs destinés soit au public masculin, soit au public féminin, mais rarement aux deux.

On dit que « les opinions, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a au moins un ». Et bien grâce à internet, tout le monde peut exposer sa petite rondelle à qui veut la voir, et chacun y va de son petit conseil ou de son avis personnel. Une vraie cacophonie visuelle.

Pour les pages destinées aux hommes, la presque totalité tourne autour de la même question : comment niquer un maximum de meufs grâce aux sites de rencontre ?

Pour les pages destinées aux femmes, le presque totalité tourne autour de : comment repérer les mecs qui cherchent uniquement à niquer un maximum grâce aux sites de rencontre ?

La guerre des nerfs du net est ouverte.

Je me suis forcé à en lire plusieurs. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’était pas très…instructif. J’avais l’impression que le truc était de sortir des évidences  enrobées d’un voile de sagesse pour vendre ça comme des révélations presque spirituelles :

 « Quand vous envoyez un message, surtout ne soyez pas grossier ou vulgaire »

- Waw, merci du conseil, je n’y aurais jamais pensé sans toi.   

« Envoyez un maximum de message, même si les filles ne vous plaisent pas trop. Et surtout n’hésitez pas à en envoyer à celles qui n’ont pas mis de photos : on peut parfois être surpris, elles ne sont pas toutes moches ! »

Vous l’avez compris, on n’est pas trop dans le romantisme là.

Au vu de cette médiocrité, je décidai de passer la partie « recherche » pour aller directement sur les sites de rencontre à proprement parler et plonger dans le grand bain de la séduction virtuelle.

Première bonne nouvelle : ils sont tous gratuits. Première déception : aucun ne l’est totalement. Pour l’inscription jamais de soucis, il suffit d’avoir le temps de répondre à un questionnaire digne d’un examen d’entrée au FBI, et l’affaire est jouée. Mais pour le reste… Chaque site à sa petite astuce : « Tu veux envoyer un message à cette jolie fille ? Donne ta carte de crédit », « Tu veux voir les autres photos de cette jolie poupée ? Donne ta carte de crédit », « une magnifique bimbo t’as envoyé un message pour dire qu’elle était folle de toi et qu’elle veut te rencontrer! Clique ici pour le lire, mais d’abord…donne ta carte de crédit ».

J’effectuais un deuxième tri et éliminais les sites ne laissant aucune liberté aux « non abonnés ». Les choix fondirent comme neige au soleil, et je me retrouvai avec quelques sites se disant « totalement gratuits ». Je ne savais pas qu’il y avait une différence entre « gratuit » et « totalement gratuit » mais bon, c’est la magie du net je suppose.

Rebelote, inscription, questionnaire personnel de dix pages, et je peux enfin naviguer au milieu d’un torrent de femmes célibataires de ma région. J’effectue une recherche et sélectionne une dizaine de prétendantes potentielles. Dernières vérifications de leur profil, ça devrait bien coller. Je finis par remarquer que pour la plupart, le site m’indique que leur dernière connexion remonte à plus de six mois… ok, je laisse tomber celles là en notant pour moi-même qu’ils ne font pas systématiquement la distinction entre « membres » et « membres actifs ». Surtout pas dans leurs campagnes publicitaires.

Il ne me restait plus que deux filles. Je leur concoctai un petit message correct et  sympathique du genre « salut, j’ai consulté ton profil et j’aimerais faire ta connaissance. Ça te dirait d’échanger quelques messages ? A bientôt j’espère.» enfin, un truc du genre et j’envois. Un jour, deux jours, pas de réponse. Je refis une nouvelle recherche et élargis un peu plus ma sélection. Même message envoyé à cinq ou six nouvelles candidates. Un jour, deux jours, pas de réponse. Après ça, je ciblais encore plus large, réduisant ou supprimant la plupart de mes critères de recherche. Une quinzaine de messages envoyés : un jour, deux jours, toujours rien.  

Le moral était à la baisse, mais je ne désespérais pas. Ma nouvelle sélection n’en était presque plus une, je me contentais de femmes célibataires pas trop monstrueuses et habitant à moins de 100 kilomètres de chez moi. Une vingtaine de messages, un jour, deux jours et toujours aucune réponse. Là je désespérais.

Il me fallait un break. Je sortis prendre un verre dans un petit bar sympa et, étrange coïncidence, je reconnus une fille que j’avais vue sur le site. Je l’abordai et lui posa directement la question. Elle acquiesça et nous commencions à discuter. Elle m’expliqua qu’elle n’allait plus sur ce site car étant gratuit, il y avait trop d’obsédés. Elle me dit même qu’elle recevait plus d’une centaine de messages par jour, pour la majorité obscènes et explicites. Le courant passait entre nous, la fille était chaude et me le faisait bien comprendre. Quant à moi, ce n’était certainement pas un de mes premiers choix. Plutôt un  de mes derniers même, dans la fourchette « pas trop monstrueuse ». Je pris note que si sur un site, la photo d’une fille n’est pas terrible du tout, et bien en vrai ça pouvait être encore pire. Je pris congé en acceptant son numéro pour réussir à m’en défaire, et promis de la rappeler tout en pensant le contraire.

Deux choix s’offraient à moi : abandonner en concluant qu’il n’y avait pas moyen de draguer « totalement gratuitement » sur internet, ou… donner ma carte de crédit.

 Je décidai de mener l’expérience un peu plus loin en prenant un abonnement d’un mois sur un des sites les plus populaires. J’étais quelque peu rassuré quant à son intégrité me disant que si leur pub passait à la télé, ce devait être quelque chose de sérieux.   

C’était reparti : inscription, questionnaire à rallonge, je mis quelques photos de moi où je n’avais pas une trop bête gueule et un petit descriptif de ma personne. Je commençai mes recherches et constata rapidement qu’il y avait la même différence entre « membres » et « membres actifs ». Mais je découvris une nouvelle notion : les « membres actifs non abonnés", qui bien entendu ne peuvent pas répondre à vos messages.

Mes premières favorites choisies, j’envoyai une dizaine de messages, toujours aussi corrects et sympathiques. Quelques jours passèrent…rien. Nouvel élargissement de mes perspectives de séduction, une autre dizaines de messages également lettres mortes. Je me dis que le problème venait de moi. Je modifiai mon profil, je le complétai et l’embellis. Je changeai mon message d’accroche pour quelque chose de plus simple genre « bonjour, ça te dit de discuter ? ». Une nouvelle dizaine d’envois, une nouvelle dizaine de messages sans réponses après plusieurs jours d’une interminable attente.

Je commençai à franchement désespérer et ne savais plus trop quoi faire. Je rechangeais mon profil, changeais mes photos et nouveau message d’accroche indiquant que je respectais les mises en garde de la majorité des abonnées : je ne cherche pas de plan cul, je ne cherche pas de permis de séjour et je suis bel et bien célibataire.  Je l’envoyai à ma nouvelle sélection, cette fois très très souple, et en renvoya un exemplaire aux candidates précédentes.

Une semaine passa. Je n’y croyais plus quand tout à coup, je reçus finalement un message. La photo de profil me montra une fille magnifique. Je cliquai impatient et… « Vous n’êtes plus abonné, pour pouvoir lire le message…donne ta carte de crédit ! »   

« Il faut vivre avec son temps », ça se disait déjà à l’époque. Alors j’ai décidé de vivre avec mon époque. Il est temps. J’ai sorti ma carte de crédit.

 Le message était envoyé d’une certaine Irina vivant à l’autre bout du pays. Elle disait « toi plaire moi tres bien. Voila mon mail ecri moi je tenvoi foto beaucou beaucou. Bisous ».

…         

Effacer message ? OUI

Effacer votre compte ? OUI

Je pris mon téléphone portable et composai le numéro de la fille du petit bar sympa. Je lui donnai rendez-vous à 20.00 heures au même endroit, et m’y rendis quant à moi une grosse heure à l’avance pour commencer à boire. L’alcool la rendit moins monstrueuse et encore plus facile.

Après tout c’est comme ça que l’on faisait au bon vieux temps, à l’époque.

J’ai décidé de vivre comme à l’époque, et de prendre du bon temps.  

Comments

[meghan jerlinkam]

Et vivre "en l'ancien temps" et zapper le temps passé (et perdu) sur le net pour sortir vraiment ?...ciné, ballades bord de lac, de piscine, montagne, campagne, forêt....faire style photographe à donf dans son projet, ou bronzette-trop-nul-tout-seul...surtout que j'ai oublié mon bouquin (trop intello? Y'en a pour qui ça marche !)...bref la vraie vie avec des vrais gens...ET SANS CARTE DE CREDIT! sauf si tu visites les bars et resto !